Puis
vinrent les poissons, les batraciens avec leurs pattes avant,
avec leurs pattes arrière, leurs esquisses de bras,
leurs naissances de jambes.
Ils arrivèrent sur terre et se mirent à marcher,
à respirer, à dormir, à manger, à
tuer.
Puis
vinrent les visages : ceux des monstres affreux, cauchemars
des êtres de vie, les scrofuleux, les cartilagineux,
les écailleux, les cuirassés, les piquants et
les mous, les cranes resserrés, les sourcils ombrageux.
Puis
apparut le singe. Et, d'abord arboricole, il descendit de
l'arbre. Il osa se dresser sur ses pattes de derrière
: pour mieux voir et plus loin, pour parcourir la savane.
Il se leva comme un arbre marcheur.
Et
il vit les images : celles de ses rivaux, les bêtes
et les monstres, celles de ses semblables, les êtres
aux grands cerveaux, il les vit, il pensa, il comprit, il
rêva, il dessina, il parla pour raconter la force des
images. Il vit les autres visages, " les visages d'avant
les dieux ". Quand l'homme était enfant, quand
il inventait les outils et les mots et les gestes de l'homme
qu'il serait.
Jusqu'au
jour où enfin il comprit que l'homme n'est pas bête,
qu'il avait peur de ses rêves et des monstres qui les
habitent, qu'il voulait fuir. Mais il finit par planter sa
tente, par honorer ses morts, par ériger des mégalithes,
par créer des légendes, par forger sa culture,
par devenir artiste.
C'était
hier : l'homme naissait du monstre, il craignait de le redevenir,
il était homme et bête, et parfois angélique.
Qui fait l'ange fait la bête. Il se savait différent.
Etre de nature, il sentait ses racines et poussait ses branches
et feuillages dans l'éther du monde. Pour le meilleur
et parfois pour le pire.
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